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2023-07-22 10:47:54

Alexis Roussel on Nostr: De l’esclavagisme physique à l’esclavagisme numérique La traite d’esclaves ...

De l’esclavagisme physique à l’esclavagisme numérique

La traite d’esclaves est un des fondements de l’économie des XVIIe et XVIIIe siècles. Il y a un grand besoin en forces de travail pour développer les terres nouvellement acquises en Amérique. De nombreuses villes européennes, comme Bordeaux, doivent une bonne partie de leur prospérité à cette époque car de nombreux marchands d’esclaves s’y sont établis. Ces marchands, extrêmement riches, sont souvent des roturiers. L’argent amassé leur sert à construire les plus belles maisons de Bordeaux, acquérir des titres de noblesse, financer l’art et la diffusion des idées. Rêvant d’une nouvelle société, ces marchands d’esclaves financent une bonne partie de la diffusion des idées révolutionnaires.

Il est piquant de constater que ces idées promues par certains esclavagistes feront le lit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’émergence d’une société composée uniquement d’individus censés être libres signe la fin du modèle économique sur lequel cette caste fondait sa richesse. Elle a ainsi creusé sa propre tombe. Trois cents ans plus tard, Bordeaux est le théâtre de mouvements qui demandent même de rebaptiser certaines rues dont le nom rappelle des personnes associées à la traite d’esclaves et qui apparaissent immorales.

Et l’Histoire semble se répéter. Les grandes entreprises technologiques du début du XXIe siècle présentent quelques similitudes avec des compagnies du XVIIe siècle. Elles fondent leur richesse et leur réussite sur une forme d’esclavage numérique, d’aliénation des consommateurs à leurs modèles économiques. À tel point que certaines de ces entreprises sont aujourd’hui plus riches que des États. C’était le cas aussi à l’époque de la flotte de la Compagnie des Indes ou de celle de la Hanse, lesquelles avaient d’ailleurs mis au point leurs propres lois et levé leurs propres armées. Les villes hanséatiques, qui avaient adhéré à la ligue marchande de la Hanse, ont instauré la lex mercatoria. Cette nouvelle loi représentait un ensemble de règles qui fondaient les relations contractuelles des marchands d’Europe du Nord. Bien que n’étant pas issues d’un droit divin, ces règles eurent une influence durable. Une partie du droit des affaires en tire aujourd’hui encore certains principes.

Les grandes entreprises du numérique sont les esclavagistes modernes. Pourtant on ne les qualifie pas encore comme tels. Les notions d’humains numériques et de droits numériques de l’individu ne se sont pas encore imposées dans les esprits et encore moins dans les législations actuelles. De nombreuses œuvres de science-fiction font bien ressortir cette vision d’une société numérique où l’individu est l’esclave de la technologie ainsi que d’un petit groupe de personnes qui en détiennent la compréhension. Cette comparaison avec l’esclavagisme n’a donc rien de neuf, elle fait partie intégrante de la représentation que se font une partie des individus de notre société. Il n’y a pas de loi qui interdit ou restreint drastiquement l’usage des données numériques liées aux individus. Au contraire, ces grandes entreprises se gargarisent d’être des experts du nouvel or numérique qu’est l’exploitation des données privées. Elles développent des techniques de récolte et d’utilisation des informations personnelles si sophistiquées qu’elles peuvent durablement influencer les comportements humains. À l’aide de la science comportementale et des neurosciences, ces groupes technologiques mettent au point des outils créant une addiction dont les effets sur la durée sont encore peu évalués. À la différence de l’esclavagisme des siècles passés, celui-ci est bien plus sournois puisqu’il crée une illusion de liberté, à tel point qu’une partie des défenseurs du libéralisme défendent même cette nouvelle économie fondée sur l’aliénation de l’individu à travers ses empreintes numériques.

Si aujourd’hui ces activités ne sont pas encore considérées comme illégales ou en tout cas immorales, comme le fut en son temps l’esclavagisme, la situation pourrait changer à l’avenir. Qui sait ? Peut-être que dans cinquante ou cent ans, il y aura des mouvements semblables à ceux qui exigent aujourd’hui de retirer les noms de rue rappelant le souvenir des marchands d’esclaves de l’époque bordelaise mais visant les entreprises technologiques actuelles.

Les ruptures technologiques doivent servir à émanciper davantage les êtres humains. Et cela même si les puissances en place tentent toujours dans un premier temps de s’approprier ces changements pour renforcer leur pouvoir. De fait, l’imprimerie et la conquête des mers ont permis petit à petit au plus grand nombre d’accéder à un savoir plus large, à des territoires plus vastes. La remise en question des régimes est devenue inéluctable. Avec le temps, ces régimes sont devenus obsolètes et ont cédé la place à de nouveaux modes de fonctionnement, comme la démocratie semi-directe ou représentative, ou le compromis de la monarchie parlementaire. De la même manière, internet aura un impact similaire. Cette technologie renforce la diffusion du savoir qui est désormais accessible partout et en tout temps pour autant que l’on possède un appareil adéquat et l’accès à une connexion. Pour l’heure, ce sont principalement de grandes entreprises et les États qui investissent dans le numérique. Mais au fur et à mesure que les gens prendront conscience de l’importance d’internet et des droits qu’ils doivent défendre pour rester libres, ils créeront des mécanismes mondiaux d’organisation de la société adaptés à l’intérêt du plus grand nombre. Internet ressemble beaucoup aux nouvelles terres découvertes à l’époque, un espace vaste encore vierge et porteur d’espoir.

Ces analogies historiques permettent de comprendre qu’à bien des égards, la situation actuelle n’est pas si nouvelle. Certes, le contexte est différent, mais les enjeux sont les mêmes. Nous devons donner à chaque individu la capacité de disposer de sa propre liberté sur internet. Nous devons nous inspirer de notre Histoire ! Pour y parvenir, et pour combattre ceux qui utilisent la technologie pour asservir, nous devons admettre que le monde numérique n’est en réalité que le prolongement du monde physique et que l’humain s’y retrouve également augmenté. Si nous avons su consacrer le droit à la vie et le respect de l’intégrité physique et mentale afin d’assurer les libertés individuelles, consacrer le respect de l’intégrité numérique des individus dans nos textes fondamentaux ne serait-il pas, dès lors, la suite logique de l’Histoire de l’humanité ?

Extrait de « Notre si précieuse intégrité numérique » par Alexis Roussel et Grégoire Barbey
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