Why Nostr? What is Njump?
2023-08-15 14:56:40

lematinch on Nostr: Heidi.news Le dilemme des antispécistes: faut-il s'attaquer aux abattoirs ou au ...

Heidi.news

Le dilemme des antispécistes: faut-il s'attaquer aux abattoirs ou au Parlement?

<img src="https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/a1f00afb-64f5-4396-a782-f9b999ef14a9/medium"; /><p>En ce début de série, nous retrouvons les plus farouches opposants à l’exploitation animale à la rencontre libertaire de Saint-Imier, dans un restaurant bobo à Genève, dans une grande organisation bâloise et dans un local minuscule de Lausanne. Anti-autoritaires, libéraux ou écolos, les antispécistes sont divers et la place de l’action illégale débattue dans le milieu. </p><p><em>«Nous sommes ici pour faire la révolution!»</em> Tiphaine Lagarde a les mots pour chauffer la foule. La charismatique cofondatrice de 269 Libération animale a été invitée aux Rencontres internationales anti-autoritaires, l’un des plus grands événements anarchistes au monde, qui s’est tenu en juillet 2023 à Saint-Imier, au cœur du Jura bernois. Basés dans la région de Nancy, les militants antispécistes sont venus à Saint-Imier pour parler «action directe».</p><p>Kenzo et Lucie, d’autres membres du collectif, s’agitent autour du dispositif technique, passant le micro aux traducteurs français-anglais à tour de rôle. Relégué dans un coin de la scène, Kiki, le chien de Tiphaine, regarde sa maîtresse à chacune de ses cantates motivationnelles, les yeux dégoulinant d’amour, complétant à son insu un tableau militant soigné jusque dans les moindres détails.</p>L’association 269 Libération animale s’est fait connaître par une série d’actions rocambolesques dans les abattoirs, dès 2016 en France. On leur doit des libérations d’animaux de rente et des blocages ayant généré des centaines de milliers d’euros de manque à gagner pour les entreprises ciblées, dans toute l’Europe. Et parfois en Suisse, comme à Vich (VD) en 2017, ou à Oensingen (Soleure) et Rolle (VD), en 2018.

*![Tiphaine et Pia 2.jpg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/02db0047-2dd5-42be-9140-cc80a134e8cb/large "Tiphaine Lagarde, présidente de 269 Libération animale, et Pia Shazar, Pia Shazar, porte-parole de l’association Pour l’égalité animale, à Saint-Imier, en marge des rencontres anarchistes. | SZ pour Heidi.news")*

Une fois entre les mains des activistes, les bêtes émancipées sont placées dans des sanctuaires ou des familles d’accueil, au prix d’une série de ruses administratives. Les transferts sont filmés et partagés dans des vidéos habilement mises en scène. En marge du discours de Tiphaine Lagarde, on peut ainsi voir des veaux, des cochons et des poules enfin libres, leurs regards désarçonnés filmés en gros plan, sur fond de musique émouvante.

Et ça marche: dans le public, les sanglots se multiplient.

## L’idylle entre anarchistes et antispécistes

Dans cet immense congrès anarchiste, les antispécistes semblent évoluer en terrain conquis. Divers ateliers sur l’exploitation animale, entre autres, sont au programme – des discours prononcés dans un cadre bon enfant d’effluves de cannabis, de bière et de transpiration. La nourriture servie sur place pendant les cinq jours est 100% végane.

Côté public, c’est un véritable défilé de tatouages de chiens, de chats, d’animaux de la savane ou d’insectes. En fond, le punk, le hardcore et le metal cohabitent avec la reposante mélodie d’un petit ukulélé. Une musique aussi composite que le mouvement anti-autoritaire, où s’exprime un très large spectre de sensibilités politiques.

#### **«Comme les femmes ou les minorités ethniques, les animaux sont des êtres abondamment discriminés»**

L’idylle entre anarchistes et antispécistes avait pourtant mal commencé. «*Lors de la dernière rencontre, en 2012,* *il y a eu des insultes*», rapporte une militante antispéciste sur place, qui veut préserver son anonymat. «*On estimait que la question du bien-être animal n’était pas pertinente dans le cadre du débat anti-autoritaire*»*,* poursuit-elle. «*Aujourd’hui, l’idée est enfin acceptée*. *Les animaux sont victimes de millions de meurtres quotidiens; ce sont les êtres vivants plus discriminés du monde. Pour moi, cette ignominie est tellement évidente. Je ne comprends pas qu’on nous qualifie de radicaux. Ce sont ceux qui exploitent et qui tuent les animaux qui sont radicaux.*»

![Saint Imier 2.jpg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/d80d4984-9a21-4ee9-97f4-978e63547d8a/large "Aux rencontre anarchistes de Saint-Imier. | SZ pour Heidi.news")

La proximité idéologique des deux mouvements est *«évidente»*, estime aujourd’hui Chris Zumbrunn, un des organisateurs de Saint-Imier. «*L’anarchisme prêche la fin de toute forme d’oppression. Historiquement, ce sont les ouvriers qui ont lancé le mouvement, mais les féministes, antiracistes et animalistes s’inscrivent aussi parfaitement dans cette ligne de pensée*. *Comme les femmes ou les minorités ethniques, les animaux sont des êtres abondamment discriminés*.»

Tiphaine Lagarde, pour sa part, a toujours été anarchiste dans l’âme. «*Tous les grands changements naissent dans l’action directe,* insiste-t-elle. *Je ne serai jamais la complice du système responsable de l’exploitation des animaux.*»

## Derrière les coups d’éclat

La narration est belle, la réalité l’est moins. Le collectif a affronté une série de condamnations judiciaires ces dernières années, à l’origine de scissions internes et de désistements. Les grandes opérations médiatiques de blocage d’abattoirs, où pouvait participer jusqu’à une centaine de militants, ont laissé la place à de petites opérations commando, où une dizaine de militants masqués se glissent de nuit dans des abattoirs industriels pour «libérer» (enlever) des animaux en cage. Plus question de s’exposer lors des actions illégales.

Une performance de rue, qui a fait couler beaucoup d’encre, prend aujourd’hui une tournure étrange. En 2015 à Lyon, devant quelques passants médusés, cinq membres du collectif se sont fait marquer le numéro «269» au fer brûlant. Tiphaine Lagarde en était, qui porte encore la marque incrustée dans la chair de sa cuisse gauche. C’est Ceylan Cirik, autre cofondateur de l’association et son compagnon d’alors, qui tenait à deux mains le brandon.

![tiphaine lagarde marquée fer H.jpg](https://heidi-17455.kxcdn.com/photos/3712758d-3a7b-4f26-b263-76027d757ebe/large "Tiphaine Lagarde, coprésidente de 269 Libération animale, marquée au fer à Lyon en 2015. | Nicolas Liponne / Hans Lucas.)")

À 40 ans, Tiphaine Lagarde vit depuis un an une séparation violente avec Ceylan Cirik. La guerrière montre des signes de fatigue. Aux nombreuses gardes à vue et condamnations judiciaires vécues dans sa fonction militante, s’ajoutent désormais des mains courantes et des mesures d’éloignement avec «*celui qui fut (son) plus grand allié pendant des années*». Avec l’implosion du couple, de nombreux membres ont quitté les rangs.

«*Mais il y a des recrues potentielles partout. Je n’abandonnerai jamais les animaux qui souffrent*», insiste la passionaria de la cause animale, qui multiplie les discours publics dans des lieux stratégiques, comme à Saint-Imier.

## Plutôt bloquer ou vandaliser?

À la fin de la présentation de deux heures, c’est une standing ovation pour Tiphaine Lagarde. De nombreux participants demandent les coordonnées de l’oratrice star «*pour organiser des actions communes*». Les questions se multiplient: *«Pourquoi se contenter de bloquer les abattoirs quand ce serait tellement plus efficace de les vandaliser?» «Comptez-vous vous associer aux ouvriers de ces structures, eux aussi exploités?»* Ou encore: *«Comment éviter la prison quand on participe à ce genre d’opération?»*

Tiphaine Lagarde répond aux interpellations, censurant soigneusement tout ce qui pourrait être interprété comme une incitation à commettre des actes illégaux. «*On ne fait pas de la prison pour des manifestations pacifiques, mais dès qu’on endommage une propriété privée, cela devient très risqué*… *La relation avec les ouvriers est très compliquée. Ils se sentent visés par notre présence… Quant aux risques légaux, nous savons comment les contourner. Nous avons tous fait des gardes à vue, mais personne ne fait de la prison ferme.*»

La perspective ne semble pas décourager les anarchistes réunis pour écouter la militante. Un jeune motivé, qui vit dans les squats autour de Paris, assure pouvoir «*trouver du monde pour les prochaines opérations du collectif*.*»*

## Le versant politique de la lutte

Les actions des antispécistes ne sont pas toujours radicales et révolutionnaires. Certains optent pour des méthodes plus douces, loin des coups d’éclat dont les médias sont friands.

Athénaïs Python, la plume critique derrière Animaux-Parlement, et Jérôme Dumarty, président de Stop Gavage Suisse, appartiennent à cette espèce-là. Leur plateforme offre un aperçu complet des prises de position animalistes des députés. Aux niveaux cantonal ou fédéral, tous les élus passent à la moulinette morale des antispécistes.

*«On observe une importance croissante de la question antispéciste au niveau parlementaire*, signale Athénaïs Python. *Dans différents cantons romands – à Genève, à Fribourg ou encore à Neuchâtel –, des élus ont défendu l’idée qu’il fallait sortir d'une société maltraitante envers les animaux. Au niveau fédéral, beaucoup d’entre eux défendent les droits des animaux. La conseillère nationale Meret Schneider a par exemple déjà déposé des dizaines d’objets parlementaires en lien avec la cause animale.»*

Avec sa loi de protection animale stricte en matière d’élevages ou d’animaux de loisirs, la Confédération est souvent citée comme un havre de la protection animale dans le monde. Insuffisant, pour les militants antispécistes: *«La loi suisse est toujours mise en avant comme étant une des meilleures, mais c’est faux*, estime Jérôme Dumarty. *On peut détenir, mettre en cage, torturer ou tuer les animaux en Suisse, en toute légalité. La Suisse est également assez hypocrite sur la question du foie gras — on n’a pas le droit d’en produire pour des raisons liées à la cruauté envers les animaux, mais on peut en importer*.»

Des arguments complétés par Athénaïs Python: *«Près de 1,3 million d’animaux de laboratoire ont été élevés ou importés en Suisse en 2021. Sur ce total, environ 820'000 animaux n’ont pas été utilisés pour des expériences. La plupart d’entre eux étaient des animaux dit "surnuméraires" et ont été tués, car ils n'ont pas les bonnes caractéristiques génétiques. Ils sont nés dans les animaleries et euthanasiés immédiatement. C’est un scandale à très large échelle» ([source des chiffres](https://www.tv-statistik.ch/fr/animaleries/)*).

## «Notre traitement des animaux nous fait courir à notre perte»

Catherine Santoru, communicante, et Marc Wuarin, gestionnaire de fortune et membre des Vert'libéraux, sont un autre duo animaliste de choc dans la sphère politique. Ensemble, et avec d’autres, ils ont mis sur pied la Coalition animaliste en 2019. Objectif: changer les systèmes d’exploitation animale de l’intérieur, notamment en proposant ou en soutenant des initiatives, des pétitions, des objets parlementaires ou des débats animalistes. Leur rhétorique est un condensé d’arguments particulièrement pertinents pour les hypocondriaques ou pour les éco-anxieux.

«*Le bien-être animal doit devenir un axe de préoccupation majeur dans un monde où tout est lié,* insiste Catherine Santoru. *Les grandes pandémies de l’histoire récente sont imputables à un mauvais traitement des animaux*. *Des maladies non transmissibles, quant à elles, comme certains cancers, diabètes ou les maladies cardiovasculaires, par exemple, ont des liens avérés avec une consommation excessive de viande. Pour faire tourner cette industrie malsaine qu’est le marché de viande, d’immenses zones forestières sont détruites dans le but d'y cultiver des aliments destinés à des bêtes en surnombre et exploitées, maltraitées et tuées. C’est un non-sens. Notre traitement des animaux nous fait courir à notre perte*.*»*

Le combat institutionnalisé de cette mère de famille est le résultat d’années de questionnement sur le sujet. Longtemps carnivore, la quinquagénaire devient végétarienne, puis végane et fait mijoter son engagement animaliste. Elle s’essaie un temps au militantisme de rue, puis à l’activisme sur les réseaux sociaux, avant de songer à lancer une initiative plus politisée.

«*J’ai participé aux marches de L214 en France* (qui a révélé au grand jour les pratiques de certains élevages et abattoirs, ndlr)*, à quelques actions de PEA, d’Anonymous for the Voiceless ou encore à des manifestations de Tier im Fokus ou de l'Animal Save Mouvement en Suisse. Avec le temps, j’ai eu le sentiment qu’il fallait faire davantage que de participer*.*»*

C’est alors qu’elle repère Marc Wuarin, un jeune politicien prometteur. «*C’était juste avant ma campagne électorale au Grand Conseil genevois, où je m’étais identifié comme candidat ouvertement végane»*, se remémore ce Genevois de 29 ans.

Peu de temps après la création de la Coalition animaliste, le battage médiatique autour de la cause, portée par les spectaculaires blocages d’abattoirs ou caillassages de boucheries, s'essouffle avec une série de condamnations judiciaires, puis le confinement. «*Depuis cette époque, nous vivons une crise sociale perpétuelle, ce qui dévie malheureusement l’attention de notre lutte*, analyse Marc Wuarin. *Les mouvements néoconservateurs montent en puissance. Les discours traditionalistes, qui reposent pourtant sur des sophismes bien connus et des narratifs erronés, ont la cote*.*»*

Pour donner un appui aux arguments antispécistes, on en revient toujours aux actions directes. «*Pour la campagne contre les élevages intensifs, notre association n'a pas hésité à partager des vidéos tournées en caméra cachée dans des exploitations,* raconte Catherine Santoru. *Les lanceurs d’alerte devraient être protégés, car ils jouent un rôle important pour la cause. Exposer au grand jour et dénoncer la maltraitance envers les animaux volontairement dissimulée ne devrait jamais être condamné.»*

Et de conclure:

«*Ce n’est pas notre créneau, mais les formes de militantisme "coup de poing" sont trop souvent présentées par les médias de manière négative. Tout le problème est là.»*

## Débat sur les actions coup de poing

Sentience Politics, éminente institution antispéciste basée à Bâle, est un peu la Coalition animaliste sous stéroïdes. Née en 2013 de la volonté de «*réduire la souffrance des animaux non-humains*”, l’organisation a mené des actions politiques d’envergure, à l’instar de l’initiative fédérale contre les élevages intensifs, l'initiative cantonale bâloise pour les droits fondamentaux des primates ou encore celle pour des menus végétaliens dans les cantines scolaires.

Bilan de cet engagement politique: une majorité d’échecs dans les urnes, mais quelques victoires tout de même. Notamment à Zurich et à Lucerne, où des contre-projets d’initiatives pour des alimentations durables sont en vigueur grâce à l’association.

«*Il est très compliqué de faire passer une initiative en Suisse*, se défend Philipp Ryf, codirecteur de l'organisation. *Nous ne faisons pas le poids contre les lobbies agriculteurs ou pharmaceutiques en face. Je trouve donc que nous avons réussi nos coups, dans la mesure où des députés sont désormais sensibilisés à ces questions*.*»*

Le lobbying institutionnel s’appuie, comme dans toutes les associations animalistes interviewées pour cette série, sur le culot des adeptes de méthodes illégales. Des tactiques controversées, dont Sentience Politics tient à s’éloigner. «*Toutes les formes d’activisme sont importantes*, souligne Philipp Ryf. *Nous sommes convaincus que le changement s’opère au niveau institutionnel et nous n’encourageons pas ces activités.» Il concède:* «*Par contre, nous trouvons qu’elles sont parlantes, dans la mesure où elles montrent que l’accès aux exploitations est interdit partout en Europe.»*

Un argument qui fait réagir Pia Shazar, porte-parole de l’association Pour l’égalité animale (PEA), qui mène des campagnes de sensibilisation chocs ou des grandes manifestations à la peinture rouge. Cette travailleuse sociale de métier, engagée dans la gauche radicale, nous reçoit dans les locaux de son association à Lausanne: «*Nous sommes clairement preneurs de ce genre d’images, même si nous n'encourageons pas les actions illégales. Nous préparons par ailleurs la mise en place d’un pôle de recherche au sein de l’association, soit une approche journalistique des contenus fournis par ces militants. Tous les types d’actions ont leur raison d’être.»*

Dans le prochain épisode, nous rencontrerons une militante repentie de l’action directe. Virginia Markus, fondatrice de l’association Co&xister, a abandonné les opérations illégales (et le fils d’Henri Dès) pour se focaliser sur la cohabitation avec les animaux… et les agriculteurs. La longue discussion sur son parcours, hautement philosophique, se fera dans un cadre aussi bucolique qu’isolé du monde civilisé. Un petit oasis de militance antispéciste, à quelques foulées de Bex (VD).

https://www.heidi.news/articles/le-dilemme-des-antispecistes-faut-il-s-attaquer-aux-abattoirs-ou-au-parlement

#Presse #heidi #Suisse
Author Public Key
npub1aj75j04qvtzjhfar54rnrudp59x2gx0x3l3x37zqrszqaxxnvxsscephl3