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2023-07-13 11:36:59

Alexis Roussel on Nostr: Extrait de « Notre si précieuse intégrité numérique » par Alexis Roussel et ...

Extrait de « Notre si précieuse intégrité numérique » par Alexis Roussel et Grégoire Barbey

Sur le plan historique, on peut relever deux aspects du pirate (des mers) : une part sanguinaire, celle du guerrier qui est prêt à tuer pour conquérir des butins ou des villes, et une part plus romantique. Les pirates sont des individus épris de liberté qui grâce à la technologie de leur époque s’associent et partent à la conquête des mers. Ils espèrent découvrir un nouveau monde pour construire quelque chose de neuf. Les pirates ne sont pas seulement des bandits, des hors-la-loi. Ils ne se sont pas contentés de piller. Ils ont développé des modes de vie propres, en phase avec leur univers, celui de la mer et de la navigation. Certains pirates ont mis au point des systèmes d’assurance. D’autres ont expérimenté des nouvelles formes d’organisation sociale. La « chasse-partie », plus communément appelée Code des pirates, en est un très bel exemple. Il s’agit ni plus ni moins d’un contrat que les pirates signent quelques jours avant de partir à l’aventure. Ce code pirate détermine les règles de vie sur le navire, la manière dont les décisions sont prises ou encore le mode d’attribution des récompenses.

L’un des codes des pirates les plus connus est celui du boucanier Bartholomew Roberts, rédigé en 1720. On y lit notamment au point I que chaque pirate pourra donner sa voix dans les affaires d’importance et aura un pouvoir de se servir quand il voudra des provisions et des liqueurs fortes nouvellement prises, à moins que la disette n’oblige le public d’en disposer autrement, la décision étant prise par vote. Au point IX, il est dit que nul ne parlera de changer de vie avant que la part de chacun ait atteint 1000 livres. Celui qui devient infirme ou perd un membre en service recevra 800 pièces de huit sur la caisse commune et, en cas de blessure moins grave, touchera une somme proportionnelle. On y découvre aussi quelques règles de vie commune : interdiction de jouer de l’argent aux dés ou aux cartes, l’heure à laquelle les chandelles doivent être éteintes, le règlement des différends par un duel à l’arme à feu ou au sabre, la présence prohibée des jeunes garçons et des femmes ainsi que l’interdiction pour un pirate de séduire une personne de l’autre sexe. La violation de certaines règles peut être punie par la mort ou l’abandon en mer. Dans certains cas, le capitaine était même désigné par vote et n’avait de fonctions dirigeantes qu’au cas où la situation le nécessitait, toutes les décisions étant prises par vote.

Comment expliquer que des pilleurs de richesses et vils meurtriers aient pu mettre en œuvre des systèmes d’organisation proches d’une démocratie participative ? Cela tient sans doute en grande partie à la situation particulière de la piraterie. La mer est un milieu hostile et y naviguer n’est pas sans danger. Tout l’équipage est littéralement sur le même bateau. Il faut donc s’organiser en bonne intelligence pour adopter des règles de vie communes. Les prises de décision ne doivent pas pouvoir être systématiquement contestées. Quoi de mieux pour y parvenir que de permettre à chacun de donner son avis et son consentement au point de se lier par un contrat tel qu’un Code des pirates ? Cette organisation particulière, liée à la navigation, se retrouve aussi dans le monde numérique. Notamment dans les communautés de logiciels libres qui se forment depuis les années 1980. Elles fonctionnent aussi à travers des mécanismes de prise de décision par consensus, comme c’est le cas dans le Bitcoin. Grâce aux technologies qui ont permis de conquérir les mers, les pirates ont expérimenté un monde libre où les règles qui s’appliquent sur la terre ferme ne sont pas forcément les mêmes. Il y a une soif de l’aventure, un désir brûlant de découvrir des trésors, de nouvelles terres, et de s’émanciper de l’ordre établi. Le pirate du numérique vit le même désir.

Le terme de pirate a pourtant et surtout une connotation négative. Attribué par l’establishment, il qualifie les personnes qui ont adopté un mode de vie en désaccord avec les lois et les règles du moment. Malgré cet aspect péjoratif, ce qualificatif a été repris par les premiers concernés qui sont allés jusqu’à le revendiquer. Sur internet, le phénomène est similaire. Au départ, pirate désigne quelqu’un qui vole des fichiers et ne respecte pas la propriété intellectuelle. L’industrie de la musique et des films a employé ce mot pour désigner ces individus qui s’échangent librement des fichiers. Mais internet est comme un nouveau continent, voire comme un océan. C’est un monde libre que des millions d’individus explorent quotidiennement. Des nouveaux modes d’organisation y sont expérimentés. Des technologies y sont constamment découvertes. Dans un Nouveau Monde où les règles du monde physique peinent à s’appliquer, les pirates se multiplient.
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